Bonjour, je m’appelle Pierre.

J’ai longtemps travaillé seul. Par seul, je veux dire que je ne répondais qu’à mon chef. Je n’avais pas beaucoup de relations avec l’autre personne de mon équipe. Ensemble mais seuls en quelque sorte. Je ne faisais pas de vagues non plus. Pas mon genre. Je travaillais bien. Un jour, je me suis lassé de cette routine. Il était temps que j’ai de l’avancement. A mon âge, c’était une question de survie sociale. J’ai donc décidé de postuler à un poste de manager dans une division voisine.  Ce fut une belle promotion. Après tout cela n’avait pas l’air si difficile de gérer une petite équipe. Financièrement j’ai fait un bond. Et socialement, ce n’était pas désagréable non plus. Une belle reconnaissance. On m’avait fait confiance pour gérer cette petite équipe de trois personnes. Je connaissais le métier et mes employés avaient l’air de connaître le leur. J’étais satisfait.

jusqu’à ce que, six mois dans le poste, je commence à déchanter. La mariée était trop belle. Je n’avais vu que les fleurs sans voir le pot. Après coup, il aurait été étonnant qu’un tel rôle ne s’accompagne pas de quelques cheveux blancs et doses d’adrénaline ou de cortisol. J’ai commencé à détester mon nouveau poste et à regretter ma tranquillité perdue.

Mon équipe s’est mise à me détester. Ou plutôt à détester mon style de management. Soudainement je les trouvais plus hostiles voire agressifs à mon égard. Ou totalement effacés. Dans le peu de réunions que nous avions ensemble, ils arboraient un détachement à nul autre pareil. Nous ne discutions plus rien, nous ne partagions plus rien, nous ne décidions plus rien ensemble. Je voyais bien que chaque membre de mon équipe avait rangé son job au rayon « ça paye les factures ». C’est ce qu’ils me laissaient à penser avec leurs façons d’en faire le moins possible. Même en réunion en aparté avec chacun d’eux, l’ambiance avait changé. Un mur de glace froid s’érigeait lentement entre moi et chacun d’entre eux. Jusqu’au jour où, lors d’une de ces petites réunions, l’un d’eux lâcha le morceau :

« On te connaissait de loin avant que tu ne reprennes l’équipe mais sous un jour différent : le gars à l’aise dans les contacts, à l’écoute, expert dans son domaine. Bref, le gars que l’on respecte. Ce n’est pas évident pour moi de partager ce que je vais te partager. Mais si je ne le fais pas, je ne me respecterai pas. Tes méthodes de management sont aléatoires et froides. Aléatoires parce que on ne te voit pas pendant trois semaines et tu réapparais à la fin du mois pour savoir où on est sur nos objectifs. Et cela fait justement trois semaines qu’on a des choses à te partager et des solutions à trouver. Mais Monsieur est constamment en réunion avec ses N+1 ou bien qui sais-je ? Des gens plus importants que nous en tout cas. Tu ne nous écoutes pas ; tu ne nous vois pas. Parfois, on te dit des choses, on te reflète des choses et ton attention n’est focalisée que sur les chiffres à atteindre. Que l’on n’atteindra pas. Ou difficilement. Et tu te mets tout simplement en colère. On ne sait plus discuter de quoi que ce soit avec toi. Et souvent tu as tout décidé de ton côté. On ne fait que remplir des chaises et des bureaux. Peut-être ne t’en rends-tu pas compte ? Alors aujourd’hui, moi et les autres, on en est rendu à faire le minimum syndical. Et on prend le parti du silence. On ne fait pas de vagues. »

Le lendemain, le HR Business Partner de ma division me convoquait et j’apprenais qu’on m’assignait un coach afin de faire évoluer mes techniques de management.

Je n’y comprenais rien. Je faisais de mon mieux avec ma boîte à outils de manager qui ne contenait pour l’instant que quelques conseils de pairs managers de plus de 30 ans d’expérience ou de tentatives d’imitation de ces mêmes managers. Et sur ma feuille de route, aucune indication de comment je devais gérer mon équipe. J’avais donc le champ libre non ?

J’étais en fait un moins que zéro. Dur, froid, pressurisant, colérique, pas à l’écoute, réduisant les autres au silence. Et l’information était remontée bien haut. La honte.

J’ai développé un sacré nœud dans la gorge et un poids dans l’estomac dans les jours qui ont suivi.

Les trois premières séances avec mon coach n’ont servi à rien. Je ne comprenais rien de ce qui m’étais reproché d’autant plus que rien de particulier ne m’avait jamais été demandé. Et voilà que maintenant, ma Direction me demandait de modifier mes comportements. D’être un vrai leader.

Coach : « Pierre, quel type de leader souhaites-tu devenir ? »

Moi : « Qu’est-ce que j’en sais ? Un leader qui fait au mieux. »

Coach : « C’est quoi un leader qui fait au mieux ? »

Moi : « Je n’en sais rien. Comme moi je fais aujourd’hui. Peut-être. »

Cela aurait pu tourner en rond pendant des lustres. Fâché, énervé, je me tournai vers le coach :

« Mais comment savoir quel leader je peux ou je veux devenir si personne dans cette fichue boîte n’est capable de m’aider sur la direction à prendre ? »

……

Là, mon coach me tendit une carte. Sur cette carte, une longue citation sûrement tirée d’un de ces grands livres de leadership :

« Le leadership est une force vitale en ce qu’il rend possible pour les humains et pour les organisations de surmonter les barrières intrinsèques à l’expression et à l’engagement afin d’obtenir les récompenses psychologiques et pratiques d’une pleine participation à une mission commune motivante. Le leadership n’est pas confiné au sommet d’une organisation : au contraire, il peut s’exercer à tous niveaux. Le leadership, au fond, consiste à utiliser les efforts des autres pour accomplir quelque chose que nul ne peut accomplir seul.  Il consiste à aider les gens à aller aussi loin qu’ils le peuvent avec les talents et compétences qu’ils possèdent. Substituer la franchise au silence et l’engagement à la peur sont des responsabilités essentielles pour les leaders d’aujourd’hui. »

Silence de ma part. Un peu compliquée cette définition. N’empêche que deux mots tournaient dans ma tête : silence et peur. Le couple infernal que j’avais réussi à installer dans l’équipe. Mon collègue avait justement eu la franchise de me prévenir de leur présence parmi nous. Je crois que j’ai passé dix bonnes minutes avec ces deux compagnons qui dansaient la valse dans ma tête. J’en avais oublié que mon coach était assis à mes côtés. J’avais les yeux rivés sur cette note. Muet et absent, une question interrompit mon long silence.

Coach : « Pierre, que se passe-t-il ? »

Moi : « Je suis confus ».

Coach : « Mais encore ? »

Moi : « Je suis vraiment confus par cette dernière phrase. »

Coach : « Qu’est-ce que cette phrase vous inspire ? »

Moi : « La montée de l’Everest avec son lot de crevasses, de doigts gelés et de fausses routes. Je ne sais pas si je veux y aller.»

Coach : « Si ce n’est pas l’Everest, alors ce sera pour aller où ? »

Moi : « Justement je n’ai pas des masses de choix ».

La session arrivait à son terme. Et j’étais toujours confus. Les astres concouraient à me dire que je faisais fausse route et je n’avais pour l’instant aucune intention de changer de direction. Le feedback que je recevais consistait à exprimer le fait que j’avais tout intérêt à changer de méthodes ou j’allais changer de rôle. Pour la santé mentale de mon équipe.

Je ne revis pas mon coach pendant quatre semaines ; quatre longues semaines où j’ai mariné dans un mauvais jus. A décider puis ne plus décider. Puis décider à nouveau. A tourner mes options en boucles jusqu’à ce que certaines options n’en soient plus et qu’il n’en reste plus qu’une . Et pas la plus agréable ni la plus confortable : j’allais me faire aider par mon coach et par mon propre boss pour gravir cet Everest.

La boîte de Pandore avait été ouverte. J’allais l’ouvrir encore plus grand.